L’euro-dividende – pas un bon moyen de revenu de base en Europe

(Quelle in deutsch / allemand: Website Netzwerk Grundeinkommen)

Dans «The Eurodividend» [1], Philippe Van Parijs plaide pour un euro-dividende au sens d’un revenu de base partiel de 200 euros en moyenne. L’euro-dividende est décrit comme un système européen transnational dans lequel les bénéfices du processus d’intégration européenne sont redistribués.

On ne peut qu’être en accord avec les problèmes de la zone euro ou de l’UE cités par Philippe Van Parijs pour justifier l’euro-dividende. Il y a un vrai manque de mécanismes au sein de l’Union pour amortir les conséquences des difficultés économiques d’un Etat membre – par exemple en ce qui concerne la compensation financière au sein de l’Union. Néanmoins, la question se pose si un revenu de base partiel serait la bonne solution pour résoudre les difficultés des domaines problématiques. D’autres instruments ne conviendraient-ils pas beaucoup mieux ?

Les objections qui suivent (version courte) portent sur la proposition concrète de l’euro-dividende de Philippe Van Parijs. Toutefois, elles valent également en bonne partie pour d’autres approches d’un revenu de base partiel transnational, applicable sur tout le territoire de l’UE ou même dans toute l’Europe. Une version longue de la critique est disponible ici en format PDF (allemand). Elle contient également des références détaillées.

Les conditions d’éligibilité non établies ou problématiques sur le plan des Droits de l’homme

La proposition de Philippe Van Parijs ne définit pas les conditions d’éligibilité : Ici, chaque habitant.e légal.e* de l’UE est éligible et,là, seul chaque habitant.e légal.e* des États membres de la zone euro ou des pays sur le point d’adopter l’euro. Ailleurs, il est question que chaque habitant.e* de ces pays, et pas seulement les habitant.e.s légales/légaux, y auraient droit. Ces questions ouvertes sur le seul cercle des personnes éligibles soulèvent toutes sortes de questions (cf. Wissenschaftliche Dienste Deutscher Bundestag 2017 : 6 f.). De plus : La restriction aux habitant.e.s légales/légaux* est controversée du point de vue des Droits de l’homme.

Un financement problématique

Van Parijs retient comme base de calcul „environ 20 % de l’assiette TVA harmonisée de l’UE“ (Van Parijs 2013 : 44). A présent cependant, seulement 0,3 % de l’assiette TVA harmonisée n’est prise en compte pour financer les dépenses de l’UE. Une augmentation à 20% soulèverait „la question des conditions et des limites de la capacité de l’Etat de droit à s’auto-construire démocratiquement dans le cadre de l’intégration européenne de l’Allemagne“ (Wissenschaftliche Dienste Deutscher Bundestag 2017 : 10 f.). En outre, des fonds considérables manqueraient au niveau national pour financer les dépenses publiques, y compris pour le système social concerné, puisqu’ils iraient désormais directement à l’UE. Cela pourrait entraîner une réduction des prestations sociales et des infrastructures publiques (voir ci-dessous). À titre de comparaison, le budget total de l’UE pour 2019 s’élève à 166 milliards d’euros. À lui seul, l’euro-dividende coûterait environ 1,2 billion d’euros à fournir par les États membres de l’UE (environ 513 millions d’habitants de l’UE x 200 euros x 12 mois). Pour la zone euro, le coût de l’euro-dividende s’élèverait à environ 818 milliards d’euros.

L’euro-dividende ne prévient pas de la pauvreté

En 2016, le seuil de risque de pauvreté était déjà supérieur à 400 euros dans 19 des 28 pays de l’UE  (soit plus du double de l’euro-dividende moyen), supérieur à plus de 1 000 euros dans 11 pays et supérieur à plus de 1 100 euros dans 10 pays encore plus (cf. Eurostat, chiffres mensuels, net). Bien que des chiffres plus récents ne soient pas encore disponibles, la probabilité est élevée que depuis, les seuils de risque de pauvreté ont continué à augmenter dans tous les pays de l’UE.

L’euro-dividende n’améliore pas la situation financière des bénéficiaires de prestations sociales

Le montant de l’euro-dividende réduit les prestations sociales soumises à conditions de ressources: l’UE ne pourra faire d’autre prescription à ses États membres.

Pour de nombreuses personnes, l’euro-dividende ne représentera pas une sortie automatique de leur dépendance des prestations sociales dégradantes et répressives dans leur pays d’origine.

Cette conclusion découle du raisonnement tenu auparavant.

L’euro-dividende ne prévient pas de la pauvreté cachée (non-recours aux prestations sociales soumises à condition de ressources)

L’euro-dividende ne libère de la pauvreté cachée que les personnes dont le droit actuel (complémentaire) aux prestations sociales est si faible qu’il est inférieur au montant de l’euro-dividende. En outre, l’euro-dividende plonge d’autres bénéficiaires de prestations sociales dans une pauvreté cachée, à savoir ceux dont le droit aux prestations sociales existantes (complémentaires) diminuerait avec le versement de l’euro-dividende. En effet, les pauvres cachés sont généralement des personnes qui n’ont que des droits mineurs aux prestations sociales complémentaires et qui, en raison de la conditionnalité et de la nature répressive du système des droits sociaux, n’envisagent pas de prendre sur elles les démarches nécessaires auprès de pôle emploi ou du guichet de la sécurité sociale générale.

Ce pourcentage atteint actuellement 86 % en Allemagne.

L’euro-dividende ne dispense ni de la contrainte au travail ni d’autres contres-parties.

Dans de nombreux pays de l’UE, 200 euros ne vous permettent pas de dire non aux mauvaises conditions de travail. Ce montant ne peut pas non plus être utilisé pour s’opposer à l’obligation légale de travailler, car le refus entraînerait des sanctions ou des réductions des prestations sociales au-delà du montant de l’euro-dividende, qui ne peut être accepté existentiellement.

L’euro-dividende stimule les coupes sociales

En se référant à l’euro-dividende et aux dépenses supplémentaires en faveur de l’UE qui en résultent, tout pays de l’UE se verra en droit de réduire les prestations sociales existantes sur son territoire. L’UE n’a pas les moyens de s’y opposer. Au contraire, l’euro-dividende pourra verser de l’eau sur le moulin des nationalistes* et faire obstacle à son objectif supposé de promouvoir l’intégration européenne.

L’euro-dividende exacerbe les inégalités sociales dans les pays

Si l’euro-dividende serait déduit des droits individuels existants à des prestations sociales soumises à conditions de ressources, mais qu’il s’ajoute au contraire pour ceux qui ne bénéficient pas de ces prestations, il contribue à accentuer l’inégalité des revenus ou les inégalités sociales dans les différents pays. Le concept de Philippe Van Parijs prévoit même expressément que l’euro-dividende devrait constituer le socle des prestations sociales existantes, non pas les augmenter, mais les diminuer du montant de l’euro-dividende (voir Van Parijs/Vanderborght 2017 : 240). Le clivage de l’inégalité sociale dans les différents pays peut être de l’eau sur le moulin des nationalistes* et faire obstacle à l’objectif présumé de l’euro-dividende de promouvoir l’intégration européenne.

L’équilibre entre pays plus pauvres et pays plus riches remis en cause

Les pays plus riches de l’UE dotés d’un système social développé bénéficieraient davantage d’un euro-dividende que les pays plus pauvres dotés d’un système social peu développé, car les pays plus riches peuvent se passer des coûts de leur système social développé dans une plus grande mesure que les pays plus pauvres en créditant individuellement l’euro-dividende ou en effectuant des réductions sociales. Ceci est en contradiction directe avec l’objectif supposé de l’euro-dividende de promouvoir un équilibre entre ces pays.

L’euro-dividende problématique ou douteux au regard de la jurisprudence des traités européens

Deux études des services scientifiques du Bundestag expriment un doute quant à la conformité de l’euro-dividende avec le droit communautaire applicable. Le droit communautaire applicable peut être modifié ou contourné. Toutefois, il s’agit d’un processus long et compliqué.

Une grande partie de ce qui a été mentionné ici s’applique également à d’autres formes de revenu de base partiel transnational sur le plan communautaire ou au niveau européen. Il est possible que l’idée d’un revenu de base soit constamment embarrassée par de tels projets parce qu’ils cachent des problèmes et des risques réels et massifs.

Solutions alternatives

 Il existe des moyens plus appropriés pour rendre possible une UE ou une Europe sociale, pour établir un système de sécurité sociale efficace et pour équilibrer la situation entre les pays de l’Union. L’introduction de normes minimales communautaires ou européennes pour les services monétaires et les infrastructures et services sociaux dans tous les pays éliminerait réellement la pauvreté et l’exclusion sociale – contrairement à l’euro-dividende.

a) Ces normes minimales dans les différents pays incluraient l’introduction d’un revenu de base à une hauteur d’au moins le niveau du seuil de risque de pauvreté national respectif et qui serait financé par une redistribution durable de haut vers le bas dans ces pays – en réduisant l’écart des inégalités dans les pays et en promouvant par là l’intégration européenne: car une société dans laquelle les inégalités sociales sont réduites au minimum ou minimales, est plus disposée à se montrer généreuse vis-à-vis à d’autres pays.

b) Parmi ces normes minimales figureraient également le développement de l’infrastructure sociale publique et des services sociaux, éducatifs et de santé. Cette expansion peut être soutenue par des fonds de compensation transnationaux et structurels existants et élargis de l’UE ou de l’Europe.

Quiconque veut une Europe sociale et forte doit veiller à ce qu’il y ait un équilibre entre les pays européens et, en même temps, à ce que les inégalités sociales dans les différents pays européens soient éliminées.

Les alternatives mentionnées feraient aussi beaucoup plus de sens que l’euro-dividende ou d’autres approches de revenus de base partiels transnationaux quant à la réussite de partenariats d’alliance avec les mouvements sociaux et les forces politiques pour une UE ou un Europe, social et juste.

[1] Philippe Van Parijs (2013) : The Euro-Dividend; https://cdn.uclouvain.be/public/Exports%20reddot/etes/documents/2013.Euro-Dividend.Roadmap_to_Social_Europe.pdf; Philippe Van Parijs/Vanderborght, Yannick (2017) : Basic Income. A radical proposal for a free society and a sane economy (Revenu de base. Une proposition radicale pour une société libre et une économie saine), Cambridge/London.

Übersetzung: Angelika Gross

L’euro-dividende – pas un bon moyen de revenu de base en Europe
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